Ce livre raconte une vie, où plutôt une enfance et le passage à l’âge adulte d’une jeune femme qui vit dans un milieu, qu’on appellerait maintenant, défavorisé. Pauvreté extrême, une mère, qui se dit artiste mais qui est plutôt fantasque et irresponsable, un père alcoolique, violent et menteur, et des frères et sœurs dont l’héroïne, doit s’occuper. Sans tomber dans le misérabilisme, Jeannette Walls nous raconte simplement son histoire. Ce roman est qu’il n’est pas manichéen, et parfois on aime et excuse presque les parents, c’est une de ses qualités, à la fin, on est surpris de voir comment des enfants maltraités aiment toujours leurs parents. Je vous recommande la version originale,The Glass Castle – Jeannette Walls, elle est aussi en version ibook. Sinon vous trouverez la version française dans toutes les librairies dignes de ce nom.
Le château de verre – le début.
Je me demandais dans le taxi si je n’étais pas trop habillée pour la soirée quand j’ai aperçu maman en train de fouiller dans une benne à ordures. La nuit venait juste de tomber. Les bourrasques du mois de mars balayaient la fumée s’échappant des soupiraux et les passants marchaient vite, le col relevé. J’étais bloquée dans les embouteillages à deux rues de la réception où j’étais attendue.
Maman se trouvait à cinq mètres. Elle s’était entourée les épaules de chiffons pour se préserver de la fraîcheur printanière et faisait son choix dans la poubelle pendant que son chien, un terrier croisé noir et blanc, jouait à ses pieds. Ses gestes m’étaient ô combien familiers – la façon dont elle penchait la tête et avançait la lèvre inférieure en scrutant les articles éventuellement utilisables qu’elle venait de pêcher, ses yeux qui s’agrandissaient comme ceux d’un enfant quand elle avait trouvé quelque chose à son goût. En dépit de ses cheveux gris emmêlés et de ses yeux creusés, elle me rappelait encore la mère de mon enfance, celle qui accomplissait des sauts de l’ange du haut des falaises, peignait dans le désert et lisait Shakespeare à haute voix. Ses pommettes saillantes étaient toujours fermes, mais son teint brûlé avait rougi à force d’être exposé aux rigueurs de nombreux hivers et étés. Pour les passants, elle n’était sans doute qu’une SDF parmi les milliers que comptait la ville de New York.
Cela faisait des mois que je ne l’avais vue, et quand elle a levé les yeux, la panique m’a prise à l’idée qu’elle m’aperçoive, m’appelle par mon nom, qu’un invité se rendant à la soirée nous voie ensemble et qu’elle se présente. Mon secret aurait été dévoilé.
Je me suis tassée le plus possible sur mon siège et ai demandé au chauffeur de faire demi-tour pour me ramener chez moi, Park Avenue.
Le taxi m’a laissée au pied de mon immeuble, le portier m’a tenu la porte et le liftier m’a accompagnée à mon étage. Mon mari travaillait tard, comme d’habitude, et le claquement de mes talons sur le parquet ciré a rompu le silence de l’appartement. J’étais encore sous le coup de l’émotion, de cette rencontre inattendue où j’avais vu ma mère fouiller allègrement dans une poubelle. Je me suis mis un morceau de Vivaldi en espérant que la musique me calmerait.
J’ai passé la pièce en revue : les vases bronze et argent du début du siècle et les vieux livres aux reliures de cuir usées que j’avais trouvés dans des marchés aux puces ; des cartes géorgiennes que j’avais encadrées, des tapis persans et le fauteuil de cuir rembourré où j’aimais m’enfoncer en fin de journée. J’avais essayé de m’organiser une maison bien à moi, un lieu où pourrait vivre la personne que je voulais être. Mais mon plaisir était constamment troublé à la pensée que maman et papa se blottissaient sur une grille de trottoir. Je m’inquiétais à leur sujet tout en ayant honte de porter des perles et de vivre dans un appartement sur Park Avenue quand ils cherchaient de quoi manger et se réchauffer.